Nuit/ 夜/ Yoru

夜

Le passant sans pas

Comme oublié par l'écho

Disparaît soudain

Aux cieux nus et noirs

Pas une étoile ne brille

Les ténèbres règnent

La lune est soleil

Figée dans sa morne mort

Au silence blême

Claude Lopez-Ginisty

Fratrie féline

La fratrie féline

Complote un larcin subtil

Pour passer le temps

Un vol en cuisine

Fera hurler la maîtresse

Mais rire le maître

Larrons d'opérette

Ah si les crimes du monde

Ressemblaient aux vôtres

Doux petits brigands

De notre vie étriquée

Vous êtes la joie

Et nous pardonnons

Les moineaux sacrifiés

Les lézards sans queue

Car vous demeurez 

Souvent dans nos jours réglés

Des chasseurs d'ennui

Vous vous caressez à nous

Et nous croyons bêtement

Vous avoir domptés

Mais vous êtes libres

Et c'est vous qui avez mis

Notre cœur en cage

Claude Lopez-Ginisty

Ânes/ ロバ / Roba/ 驢/ Lǘ

Prière pour aller au paradis avec les Ânes
Lorsqu'il faudra aller vers Vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller,
comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.

Je prendrai mon bâton et sur la grande route
J'irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
Car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon-Dieu.
Je leur dirai : Venez, doux amis du ciel bleu,
Pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille
Chassez les mouches plates, les coups et les abeilles...

Que je vous apparaisse au milieu de ces bêtes
Que j'aime tant parce qu'elles baissent la tête
Doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds
D'une façon bien douce et qui vous fait pitié

Mon Dieu, faites qu'avec ces ânes je vous vienne,
Faites que dans la paix, des anges nous conduisent
Vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
Lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
Et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
Sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
Qui mireront leur humble et douce pauvreté
À la limpidité de l'amour éternel.

Francis Jammes

Le Deuil des Primevères (1901)

*

*****

*

驢

Il avait raison

Le poète Francis Jammes

De louer les ânes

Comme ils sont paisibles

Humbles et doux ils cheminent

Ou dorment dans l'herbe

Parfois par surprise

Ils poussent un cri terrible

Qui pince le cœur

Avec notre Maître

Un de leurs petits entra

Dans Jérusalem

Et comme Francis

Nous pensons qu'il serait bon

Au soir de la vie

En leur compagnie

D'entrer sous leurs pas légers

Dans le Paradis

Claude Lopez-Ginisty

φωτιά/Feu

火災

Vague de feu fluide

L'été incendie le jour

Et brûle la nuit.

Claude Lopez-Ginisty

Calme/ 穏やか / Odayaka,

平

靜

J'ai jeté mon encre

Au hasard de tous les mots

Et je me suis tu

Au front de la nuit

Une ride s'est creusée

Comme un sillon gris

Et la lune pâle

Cyclope dans les ténèbres

Mit un point final

Claude Lopez-Ginisty

Dreams of wind

Comme au ciel la nue

S'agrippe encore aux montagnes

Je reste sur terre

Claude Lopez-Ginisty

Les Nuages/雲

Ils prennent la forme

De toutes mes rêveries

Et ils disparaissent

Claude Lopez-Ginisty

Catastrophe

A strophe for the cat

No I am not dyslexic

You don't know my cat

Une strophe pour le cat

Je ne suis pas dyslexique

Tu connais mon chat

Claude Lopez-Ginisty

Nuages/雲

雲

Tout comme nos jours

Les nuages dans le ciel

Partent à jamais

A nos vies aussi

Nous pouvons donner des formes

Pour les embellir

Car si les nuages

Amènent vent ou orage

Du ciel à la terre

Tous nos jours de même

Apportent joie ou bien peine

Avant leur silence

Cependant je crois

Qu'outre nuages et jours

Un monde autre existe

Au-delà des mots

Et de la terre et des nues

Il attend notre heure

Pèlerin du temps

Marchant vers l'Eternité

C'est ma quête ultime

Claude Lopez-Ginisty 

Rosiers/τριανταφυλλιά

Rose épanouie

Pétales de purs parfums

Poèmes fragrants

Claude Lopez-Ginisty

Suite de Printemps (2)

Comme une âme en fleur

Le gardénia au jardin

Donne sa fragrance

*

La forêt soudain

A revêtu sa livrée

De vert et de fleurs

*

Le soleil est doux

Baiser pudique et chaste

Prélude à l'été

*

Les grillons fantasques

Ont repris leur symphonie

Pour scier la nuit

*

Le chat a vieilli

Les lézards gardent leur queue

Au soleil de mai

*

Claude Lopez-Ginisty

Suite de printemps (1)

Ôtant dans un souffle

Son écharpe de nuages

Le mont se déneige

*

Retour du printemps

Lézards nouveaux au soleil

Papillons timides

*

Au sortir d'hiver

Même les petits moineaux

Semblent épuisés

*

Immense troupeau

L'assemblée des blancs nuages

Migre vers le Nord

*

Avec ses trois fleurs

Le petit cerisier

Croit être japonais

*

Claude Lopez-Ginisty

Pervijze: suite de haïku

Frontière du Ciel

Le monastère apparait

Vêtu de prières

Aux nues bleues de Flandre

Il est comme un beau navire

Prêt pour les tempêtes

Comme un havre sûr

Au dur ressac de ce monde

L'abri dans l'épreuve

Ses toits vers l'azur

Pointent pour montrer au siècle

L'illusion du temps

Car l'éternité

Reste l'unique mesure

De la vie des hommes

Et pour l'âme humaine

Chaque pas dans l'oraison

Est borne au Royaume

Amarrage pieux

Non de terre mais des Cieux

Pour aller vers Dieu

Frontière d'Eden

Le monastère est Lumière

Qui décape l'âme

Même son silence

Est une clameur en Dieu

Un désert fécond

Un courtil joyeux

Que la rosée de la Grâce

Vient renouveler

Une échelle étrange 

Pour accéder par l'Esprit

Au Mystère Saint

Claude Lopez-Ginisty

Vitrail

Dans la cathédrale

Le regard de la rosace

Fixe le Royaume

Claude Lopez-Ginisty

Royaume/王國

王国

王國

Au-delà des mots

Le mystère insaisissable

De la vie future

Le Bien ineffable

Qui dépasse les richesses

De ce monde vain

Le calme Royaume

Fait de paix et d'harmonie

Au profond du cœur

L'unique horizon

Des mots devenus prières

Sous l'Autre Soleil

La manne à venir

Au matin de Parousie

De l'Ami des hommes

Silence de l'âme 

Qui aborde au clair rivage

D'Eternité

*

Mais dans cette attente

Le chemin est carrefour

De la Sainte Croix

Claude Lopez-Ginisty

感想/Kansō/Pensées/思考

感想

思考

*

C'est l'esprit qui voit

Au-delà des apparences

Ce que l'œil ignore

Le temps fuit sans cesse

Et pourtant l'Eternité

Est au fond du cœur

La beauté du monde

Vient sans discontinuer

Emouvoir mon âme

Fragile brin d'herbe

Sous ta petite main verte

Je tiens l'Univers

Au silence d'or

Par mon regard intérieur

J'appartiens au Ciel

Claude Lopez-Ginisty

Sommeil/ スリープ / Surīpu / 睡覺 / Shuìjiào

睡覺

Les deux yeux fermés

Sur le théâtre du monde

En rideau d'oubli

Claude Lopez-Ginisty

Hiver/冬

La nuit est tombée

Comme un rideau de ténèbres

Sur le paysage

Au loin dans le ciel

La clarté borgne de la lune

Cligne son œil gris

Et le vent soupire

Faisant frissonner les arbres

Sous son souffle sourd

La nature est morte

Emmitouflée dans l'hiver

Et son blanc suaire

Claude Lopez-Ginisty
*

Photo: 

Echo d'hiver au Creux de Charpigny 

(auteur)

Albe liturgie de l'hiver au jardin

En monotone rêverie,
Les nues égrènent leur collier
Sous un ciel de mélancolie:
Le jardin se meurt en janvier...

Après une lente agonie,

Adieu les fleurs et l'harmonie:
Le jardin se meurt en janvier...

Et nébuleuse hémorragie,
Le temps fuit au calendrier,
Incitant le ciel à prier
Au cours d'une albe liturgie:
Le jardin se meurt en janvier…

Claude Lopez-Ginisty

Le Jour de Charles d'Orléans 

°

Photo: 

Hiver au Creux de Charpigny 

(auteur)

Ballade de louange à la Toute Pure

*

Sur les chemins de notre terre,

Je passe, pèlerin  du cœur,

Car mon âme est d'humeur légère,

Et mon esprit est tout ardeur...

Toi qui des femmes est l'honneur,

Mère, qui entendis de l'Ange 

La venue de notre Sauveur,

Accepte mon humble louange!

Garde-moi bien dans ce mystère,

Dans l'insondable profondeur

Où par cette union volontaire,

Et ce geste libérateur,

Je laisse Dieu être l'Acteur

D'un salut que le monde étrange,

Où je suis sauvé car Il meurt...

Accepte mon humble louange!

Dans la spirituelle guerre

Combattant l'esprit querelleur,

La victoire est souvent amère...

Si parfois l'angoisse et la peur

Me font oublier la splendeur
De ce salut promis par l'Ange,

Pour le vain terrestre bonheur,

Accepte mon humble louange!

Envoi

Seigneur, accorde à moi pécheur,
Dans une liesse sans mélange,
Que ta Mère toute douceur
Accepte mon humble louange!

*

Claude Lopez-Ginisty

Le Jour de Charles d'Orléans 

*
Icône du "Pokrov"
Céramique 
de 
Dominique Aymonier Lopez

Fenêtre d'hiver/ Fereastră de iarnă/ Winter window

Two windows like eyes

And a curtain-handkerchief

Wiping snowflake tears

*

 Deux fenêtres comme des yeux

Et un rideau-mouchoir

Qui essuie les pleurs flocons

Claude Lopez-Ginisty

*

Belle photo de Lavana

sur 

RESPIRO

Rêves/夢

N'imagine pas

Que tu pourras capturer

L'âme de mon rêve

Claude Lopez-Ginisty

*

Illustration: 

Collage (auteur)

Virelai II

Quand l'araigne sombre vient dans mon esprit 

Tisser son noir réseau de mort et d'ennui,

Le soleil soudain s'habille d'un linceul.

Dans les bois le chant des oiseaux n'est qu'un cri;

Dans le ciel de printemps jadis si joli,

Le soleil soudain s'habille d'un linceul.

Le bonheur sous les nues s'est évanoui,

Et dans mon cœur où tout amour est banni,

Le soleil soudain s'habille d'un linceul.

Claude Lopez-Ginisty

Le Jour de Charles d'Orléans 

°

Illustration: 

Collage

(auteur)

Tempus fugit

Le temps passe comme fumée

Qui monte au ciel et disparait,

Se fondant avec la nuée...

Et plus jamais ne reparaît.

Et l'illusion de la durée-

N'est jamais qu'un pieux souhait:

Le temps passe comme fumée.

Chaque instant est une saignée,

Au creux de la vie une plaie,

Pur rêve et frêle simagrée

Où la mort soudain transparait:

Le temps passe comme fumée.

Claude Lopez-Ginisty

Le Jour de Charles d'Orléans 

°

Illustration: 

Collage/Vitrail

(auteur)